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    L'invitation au voyage

    Mon enfant, ma soeur,
    Songe à la douceur
    D'aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
    Les soleils mouillés
    De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
    Si mystérieux
    De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Des meubles luisants,
    Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
    Les plus rares fleurs
    Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l'ambre,
    Les riches plafonds,
    Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    À l'âme en secret
    Sa douce langue natale.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Vois sur ces canaux
    Dormir ces vaisseaux
    Dont l'humeur est vagabonde ;
    C'est pour assouvir
    Ton moindre désir
    Qu'ils viennent du bout du monde.
    - Les soleils couchants
    Revêtent les champs,
    Les canaux, la ville entière,
    D'hyacinthe et d'or ;
    Le monde s'endort
    Dans une chaude lumière.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.



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    El desdichado


    Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,

    Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :

    Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé

    Porte le soleil noir de la Mélancolie.

     

    Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,

    Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

    La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,

    Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

     

    Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?

    Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

    J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...


    Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

    Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

    Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.



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    Fantaisie

     

    Il est un air pour qui je donnerais

    Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

    Un air très vieux, languissant et funèbre,

    Qui, pour moi seul, a des charmes secrets.

     

    Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

    De deux cents ans mon âme rajeunit :

    C'est sous Louis treize... et je crois voir s'étendre

    Un coteau vert que le couchant jaunit,

     

    Puis un château de briques à coins de pierre,

    Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

    Ceint de grands parcs, avec une rivière

    Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.

     

    Puis une dame, à sa haute fenêtre,

    Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens...

    Que dans une autre existence peut-être,

    J'ai déjà vue ! - et dont je me souviens !



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    Une allée du Luxembourg

     

    Elle a passé la jeune fille,

    Vive et preste comme un oiseau :

    A la main une fleur qui brille,

    A la bouche un refrain nouveau.

     

    C'est peut-être la seule au monde

    Dont le coeur au mien répondrait,

    Qui venant dans ma nuit profonde

    D'un seul regard l'éclaircirait !...

     

    Mais non, - ma jeunesse est finie...

    Adieu, doux rayon qui m'a lui, -

    Parfum, jeune fille, harmonie...

    Le bonheur passait, - il a fui !



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    Demain, dès l'aube


    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

     

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

     

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.



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